C’est toujours difficile pour moi d’écrire quelque chose sur l’un de nos voyages. Il me faut réellement du temps, pour le digérer, pour avoir le plaisir de le remémorer et que le suivant soit en préparation.
Ce qui suit n’est pas un récit chronologique, ce n’est pas un livre de bord, ce sont des souvenirs.
Avec Jean-Jacques Lemoine, Marc Estrade et Benoit Morin . Photo: Jean-Jacques Lemoine. Texte Christian Scalbert.
En juin 2013, nous étions à Juneau, capitale de l’Alaska, dernier état américain: « the last frontier » Il y a longtemps que je voulais kayaker vers Juneau, mais divers informateurs me le déconseillaient, disant que juin était un mois pluvieux dans cette région. La suite leur donnera tort.
Paris, Seattle, Seattle, Juneau, le voyage est long mais pas compliqué en ce qui concerne la logistique. Nous arrivons tard à Juneau, le taxi qui nous amène à l’hôtel est conduit par un Français, né à Paris! Le monde est petit.
Le lendemain, nous louons une voiture, nous devons nous rendre à Auke Bay à quelques kilomètres du centre ville, c’est là que se trouve le loueur de kayaks. La matinée est consacrée à faire les courses, pour quelques jours seulement, sachant que l’on pourra trouver du ravitaillement sur la route. Nous espérons embarquer dans l’après midi.
Auke Bay est un port pas très grand, mais très animé. Des pick up, des 4/4 tractant chacun un bateau de plusieurs mètres, souvent en alu, empruntent les cales de mise à l’eau, soit pour embarquer, soit pour débarquer. Les anneaux de ports doivent être chers, ce qui expliquerait ce trafic incessant de bateaux.
» La boutique » de notre loueur est ouverte : Above&Beyond Alaska . Deux jeunes filles nous accueillent, dans ce minuscule abri en bois qui leur sert de boutique. Nous remplissons les différents formulaires administratifs avant de prendre possession des kayaks. Ce sont des Current Design, modèle Storm, ouais, bof! Les kayaks ont un important volume de chargement et nous avons 4 modèles identiques, donc, on fera avec.
Il pleut, il pleut vraiment depuis que nous sommes à Auke bay. Heureusement, la tente qui sert au rangement du matériel de notre loueur, nous permet de charger les kayaks au sec. La mise à l’eau se fait entre deux bateaux de pêche qui embarquent ou débarquent. Et c’est parti direction Glacier Bay…dans quelques jours.
Nous passons une première nuit humide, sur un bout d’île, non loin de Auke Bay, dans ce paysage que je connais bien, les montagnes magnifiques qui plongent dans la mer, les baies immenses, des conifères partout jusqu’à toucher l’eau, cet air si pur. L’ Alaska, quoi.
Dans les jours qui suivent nous progressons vers l’Ouest, objectif: Gustavus, un ancien comptoir russe, devenu le passage obligé pour les touristes nombreux qui visitent Glacier Bay. Glacier Bay est une réserve naturelle classée au patrimoine mondial de l’humanité. Le parc reçoit environ 400 000 visiteurs par an.
A l’approche de Gustavus le vent monte et pas à notre avantage. Nous débarquons, pour visiter la ville. Nous marchons sur la route principale de Gustavus, où les habitants circulent en pick-up en nous saluant. C’est très particulier, dans cette petite ville du bout du monde, tout le monde se salue, avec le sourire. Nous cherchons une boutique pour un peu de ravitaillement, c’est dimanche et le seul General Store est fermé. Nous sommes en Alaska et pourtant il y a, à Gustavus, des champs entiers de fraises, comme à Plougastel, et comme à Plougastel, il y a un service qui permet aux consommateurs d’aller eux-mêmes cueillir leurs fraises…
Nous n’avons plus d’eau, non plus. Ah, l’eau! Ça sera un problème pendant tout le voyage. Autant à Kenai, dans Prince William Sound ou aux Aléoutiennes, l’eau douce reste facile à trouver, autant autour de Juneau, ce n’était pas évident tous les jours de trouver un torrent sympa et suffisamment courant pour avoir confiance dans la qualité de son eau.
Là à Gustavus, c’est un pêcheur qui nous fournit un tas de petites bouteilles d’eau minérale, et avec le sourire. J’adore!
Nous dormons sur la plage il fait chaud. Summer in Alaska. Marc pêche un saumon, juste avant d’atterrir.
Le lendemain, direction Glacier Bay, j’ai hâte d’y être, ses fjords abondent de baleines à bosses et d’otaries. C’est une zone où le marnage est conséquent, les dépôts dus au glacier occasionnent des bancs de sable et gagnent du terrain sur les plages.
On aperçoit la pointe, là bas à quelques milles qui ouvre la passe menant à Glacier Bay. Le vent est fort , une vague se crée à l’entrée de la passe, on est à plus d’une heure de cette passe. Plus nous progressons et plus il est évident que le vent, là bas est fort voire très fort, on va vers les ennuis, je me trompe rarement la dessus. « Alors, voilà, les amis, ou on s’arrête le temps qu’il faut, en attendant que le vent tombe, soit on oublie Glacier Bay et on change de destination » ça grince un peu, mais bon, ok, on change de direction. Cap sur Hoonah, un village de Natives, plus au Sud.
Hoonah est un village indien. Les Natives de cette région sont des Tlingits. Difficile de décrire ce peuple en quelques mots leurs vêtements traditionnels sont richement décorés et colorés, leurs totems sont très remarquables.
Nous restons une nuit à Hoonah. Il a fait chaud toute la journée, vraiment chaud, et cette chaleur ne nous quittera plus de tout le séjour. Hoonah première piqûre de taon et premières midges. Pour ceux qui ne connaissent pas, la midge est une saloperie de mouche minuscule qui a pour sale habitude de voler par centaines et d’ adorer la peau des humains, entre autre. Bref, ça gratte dans le cou, ça gratte sur le visage, ça gratte sur les mains partout où on n’est pas protégé. Le taon lui est plus franc. Il se pose, sans que ça se sente et une fois que ça se sent, trop tard ça commence à faire mal et à enfler. Mais j’y reviendrai…
On décide de remonter à Juneau par Admiralty Island, l’île est réputée pour sa colonie d’ours bruns, ho,ho!
Et effectivement, nous avons vu notre premier ours sur Admiralty Island. Les ours bruns ici sont assez petits et ont l’air craintif.
Lors d’un bivouac sur l’île, nous avons pu remonter le cours d’une rivière large et peu profonde. En quelques coups de pagaies, nous étions hors du temps, hors du monde des humains, nous pagayions ailleurs. C’est paisible et magnifique. Nous plantons les tentes tout près de cette rivière. Peu de temps après, j’avais les pieds dans l’eau accroupi, grimaçant dans mon miroir, tant c’est pénible de se raser à l’eau froide, grhhh. Le vent est léger et porte vers moi. Soudain, en face, de l’autre côté de la rivière, un grizzly qui fouille le sol à la recherche de quelque chose à manger. Il ne m’a pas vu ou plutôt pas senti. Les ours ont une très mauvaise vue, par contre leur odorat est extrêmement développé. Je ne bouge pas. La bombe de gaz au poivre est à portée de ma main. Je crie, l’ours tourne la tête m’aperçoit et part en courant. Fin de l’aventure!
Nous pagayons chaque jour sous le soleil, il fait chaud, anormalement chaud, sans trop de vent. La saison touristique a démarré, après avoir découvert Glacier Bay en bateau, il n’est pas rare que les touristes se fassent déposer en hydravion, près d’une rivière à saumons y passent l’après midi à pêcher, pour être récupérés en soirée. Toutes les ressources du pays sont exploitées pourvu qu’on ait la quantité de dollars nécessaire pour payer.
De retour à Auke Bay, pour faire des vivres! Un thermomètre de rue donne 31°C, c’est incroyable, il n’y a pas de vent, l’air est plombé. Les taons en profitent, ils sont partout à terre comme sur l’eau. Marc est devenu le spécialiste incontesté dans la chasse au taon. A coups de casquette il fait une hécatombe, sont kayak est un charnier d’insectes. A nous quatre, nous avons tué une bonne partie de la colonie de taons d’Alaska, le Guinness n’est pas loin, c’est sur!
Nous mettons le cap plein Sud, pour visiter Taku Inlet, une grande baie au Sud de Juneau qui héberge trois glaciers.
La passe maritime qui conduit à Juneau connait un trafic incessant. Bateaux de pêche, barges de travail, portes containers, gros croiseurs, bateaux de touristes de toutes tailles, paquebots gigantesques à l’américaine. Bref depuis quelques jours nous ne sommes plus seuls.
C’est une région avec peu d’oiseaux. L’Alaska m’avait habitué à pagayer parmi des centaines d’oiseaux d’espèces différentes, ici autour de Juneau, il y a peu d’espèces d’oiseaux de mer et nous n’avons pas vu de grandes colonies comme plus au Nord de l’Alaska. (Kodiak, Kenai…)
Pareil, pour la loutre. Partout ailleurs en Alaska, les loutres sont nombreuses, ou relativement nombreuses dans Prince William Sound, ici, nous avons du voir une ou deux loutres guère plus.
Par contre nous avons pagayé avec différentes espèces de baleines, dont notamment les baleines à bosses, quasi tous les jours. Le bonheur!
Un matin, en passant une pointe, on aperçoit une dorsale suffisamment imposante, pour ne pas être celle d’un dauphin. Une orque. Wouahh. Je sais que les orques se déplacent rarement seule, bien souvent elles évoluent en famille. Et ça n’a pas loupé, en peu de temps nous sommes cernés par plusieurs killer whales, de toutes tailles, pris entre crainte et fascination. C’est sans doute l’un des moments les plus forts du voyage. Nous avons eu droit aussi à un combat maritime entre deux lions de mer, à quelques coups de pagaies de nos kayaks. Ça décoiffe!
Taku Inlet nous accueille à l’entrée par une mer agitée, au surf, mais nous offre le spectacle de ses glaciers. Fabuleux. Les Américains ont canalisé l’énergie d’un lac gigantesque, qui tombe en cascade dans l’océan: Turner Lake. Cette centrale électrique fournit Juneau et aussi d’autres villes plus au Sud.
Une nuit passée dans Taku Inlet près d’un torrent un vrai, un des rares torrents de notre séjour, et nous entamons le chemin du retour. Nous traversons Taku Inlet dans sa largeur au plus court, avec un cap vers Jaw Point. Il y a du vent et la mer est agitée. Le vent vient de la montagne, ça pue. Changement de cap, sous mon initiative, il faut se mettre à l’abri de la falaise, pour échapper au fetch, c’est un vent catabatique qui semble augmenter en puissance si on reste dans le secteur, on va manger, c’est sur. Dans cette partie du globe, le vent catabatique est certainement le piège le plus redoutable pour les kayakistes.
Nous quittons le continent pour renter à Auke Bay en longeant la côte Est d’Admiralty Island. Nous manquons d’eau douce. Chaque après midi c’est la même chose, trouver un bivouac et de l’eau.
Auke Bay, nous rendons nos kayaks dans un balai perpétuel de grosses bagnoles et de bateaux de pêche qui descendent ou remonte de la cale. On décompresse. Le séjour se terminera par la visite de Juneau. Demain.
Juneau est un port situé sur le continent, protégé du Pacifique par l’ile Douglas qui est très proche, ce qui crée un couloir naturel suffisamment profond pour permettre l’accès des navires de tous gabarits.
Juneau, ho la claque! Nous sommes fin juin, et pourtant au mouillage il y a plusieurs paquebots de luxe, gigantesques, des dizaines de yachts, des pontons où accostent les hydravions. Juneau une rue principale avec en alternance des bars ou restaurants et des boutiques à cadeaux d’art native, fabriqués en Chine ou à Taiwan. Et des touristes, par centaines, venus de partout dans le monde, plein, plein de touristes. Écœurant.
On fuit le down town de Juneau, pour se réfugier au musée ethnique de la ville, un vrai bonheur de calme qui nous plonge dans la vie des Indiens Tlingits cette vie en parfaite symbiose avec la nature. Les galeries du musée montrent les premiers trocs avec l’homme blanc: Russes, Anglais et Espagnols. Les premières batailles contre ce même homme blanc au XVIIIème siècle pour arriver au XXIème siècle au down town de Juneau.
Cerise sur le gâteau et grâce à Neil Nickerson, nous avons pu faire du stand up paddle en Alaska. Neil est le patron de Blue Nose Surf, à Juneau, il nous a fait un vrai accueil et nous a loué du super matos, ça aussi c’était un grand moment, merci Neil. Neil Nickerson surfe en hiver, en Alaska, dans une eau entre 3 et 5°C, brrhhh!