Je pagaie. Soyez patient ...

Akutan, îles aléoutiennes (2011)

Les îles aléoutiennes sont un rêve pour les kayakistes. Les Aléoutes étaient certainement les plus grands kayakistes de tous les temps. Le seul peuple du Pacifique à utiliser une pagaie double en kayak, les autres Natives se servant d’une pagaie simple, comme pour le canoë. La morphologie de l’homme aléoute s’est même adaptée au fil des générations à la pratique du kayak. Ainsi, des fouilles récentes effectuées à Unalaska ont révélées que l’Aléoute devait avoir les bras musclés, plus que de moyenne, aux vues des restes d’humérus découverts dans d’anciennes tombes aléoutes.

L’archipel des aléoutiennes

Pour ma part ce deuxième voyage aux Aléoutiennes hors mis le côté aventure, non négligeable, est aussi un hommage au peuple aléoute qui me fascine depuis toujours. Unalaska. Carnet de Voyage.

A voir aussi, les galeries photos de Anne Brétéché et celles de Jean-Jacques Lemoine, et l’article de préparation sur les Aléoutiennes 2011 :

Dutch Harbor ! C’est un long voyage. Paris/ Los Angeles, où nous ratons notre correspondance. Nuit à Los Angeles, puis Seattle, puis Anchorage et enfin le petit aéroport de Dutch Harbor, où m’attend mon ami Jeff Hancock. Huit ans sans le voir!  » Hi Jeff » Il fait connaissance de mes compagnons de voyage.                





On se raconte deux trois trucs sur nos vies chacun à un autre bout du monde. Une nuit d’hôtel, le départ est prévu pour demain.  Jeff sa copine Lauren et nous autres Frenchies, rincés par le voyage, sommes plongés dans la pénombre du saloon de l’hôtel où se mélangent toutes les générations; pêcheurs et dockers du monde entier, touristes américains, tout ce monde, le nez dans la mousse de la bière alaskane. Délicieuse bière alaskane,  sur fond de musique country.

Le lendemain matin, nous faisons les courses, chargeons les kayaks, loués à Jeff. Hôtel, magasins, aire de mise à l’eau, tout cela tient dans un mouchoir de poche. Fait gris! Quelques personnes, intriguées,  assistent à notre départ depuis les fenêtres de l’ hôtel.

Photo: Anne Brétéché




Et c’est parti! A part 2 kayaks de chez Valley (Aquanaut et Nordkapp) les quatre autres kayaks ne sont pas terribles (2 Necky modèle Looksha IV et 2 Current Design modèle Storm) je m’en doutais avant le départ, connaissant un peu le parc de matériel de Jeff. Tant pis, on fera avec, et puis c’est pas le moment de chouiner ou de faire sa chochotte. On y est, et c’est l’essentiel.

J’aime bien l’Alaska, j’aime bien ce coin du monde, je m’y sens chez moi. Bon, là d’accord, c’est la mer de Béring, c’est pas une mer pour rigolos ou pour petites natures, elle a ses exigences et ses coups de gueule, avec le vent qui règne en maître. C’est lui le patron et c’est tout! Si tu acceptes tout ça et si tu composes avec, alors:  » welcome in Aleutian Islands « 

Notre objectif est de faire le tour d’Akutan, une grande île au Nord Est d’Unalaska, en passant par l’Ouest de l’île…. Voir Akutan.

Photo : Jean-Jacques Lemoine




Dès les premiers jours, nous apercevons Unalga. Une petite île sur notre route. Nous devons traverser Unalga Pass! J’ai un souvenir d’il y a huit ans de ce chenal, avec un courant redoutable et une vague de courant qui dépasse l’imagination d’un kayakiste occidental. Mais là, pétole, nous longeons Unalga par le Sud, sur un tapis roulant, tant mieux, faut pas moisir ici. L’Est de l’île, puis le Nord. Le vent monte, monte encore! Tout va bien il est avec nous. Trouver un abri pour un bivouac. Demain, nous traverserons pour Akutan. J’ai hâte.

Au Nord d’ Akutan, il y a des sources d’eau chaude, Jeff nous les a indiquées sur la carte, des sources d’eau chaude…. un bain chaud en milieu de rando…. Le rêve! A l’Est de l’île, il y a le village d’ Akutan, un village de Natives. Des Aléoutes. Il y avait encore des kayakistes à Akutan vers 1970.





Départ d’Unalga plein Nord, avec un arrêt aux Babies Islands, un archipel colonisé par les oiseaux, notamment, plusieurs espèces de macareux. Au large de chez nous, à Trégastel, les Sept Iles accueillent chaque année, une colonie de macareux, choyée et jalousée par les ornithologues locaux. J’imagine la tête de ces derniers, s’ils avaient pu assister au spectacle, qui se déroule, là, devant nos yeux de ces dizaines de milliers d’oiseaux, planant au dessus de nos kayaks, à hauteur de pagaie. On en prend plein les yeux, plein….

Bon, allez, on traverse, il n’y a que 2 milles jusqu’à la pointe Sud de l’île: Cape Morgan, c’est presque un nom breton! La mer est calme le vent nul, et incroyable, il y a du soleil. Devant nous Akutan, et son volcan, masqué par les nuages. Nous avançons plein Nord.





Soudain, j’aperçois une barre blanche au large à l’Ouest, ça mousse! C’est super loin! Il n’y a rien sur la carte qui justifie une vague à cet endroit pas de hauts fonds, c’est peut être un effet d’optique du au fort courant d’Unalga. Je prends un alignement au cas où, par réflexe. 2 minutes s’écoulent, je suis persuadé que la barre avance. Non ce n’est pas possible, ces choses là n’existent pas. Nous sommes dans un pays qui connaît jusqu’à 40 tremblements de terre par an de toutes magnitudes, un tsunami? Un tsunami ne mousse pas à cette distance de la côte. C’est quoi ce truc? Je préviens les autres. Tous les regards se tournent vers l’Ouest. La mer commence à s’agiter, les kayaks eux suivent le mouvement, je surveille Anne qui pagaie près de moi, son kayak se soulève sur la houle de plus en plus haut. La barre avance, vers nous! La carte donne environ 20 fathoms de profondeur ça fait plus de 40 mètres de fond. Une vague qui mousse par 40 mètres de fond, je n’imagine même pas la hauteur du monstre. S’il vient sur nous, je ne sais pas quelle dernière image nous aurons en touchant le fond. Je fais mettre tout le monde en radeau. Nous sommes à peine à 1 mille de l’île d’Akutan, on peut y être en un quart d’heure facile. J’observe. La barre de mousse semble se rabattre sur l’île, tout le long de la côte Sud. C’est quoi ce machin? Le courant semble nous pousser loin d’Akutan. Alors, qu’un courant nous y amenait 15 minutes plus tôt… Ok, on fait demi -tour. Et on pagaie, pour foutre le camp. Ma décision est sans appel. Le groupe de kayakistes est soudé, la houle est là, mais la barre de mousse se maintient aux abords de l’île.

C’était la bonne décision, si nous avions cherché refuge au plus court, vers Akutan, nos kayaks auraient été broyés contre l’île. Retour sur Unalga. Enfin à terre! Tout à l’heure j’ai bien cru que tout allait basculer. Je ne sais toujours pas ce qu’était ce phénomène maritime. A vue de nez la vague devait avancer à la vitesse de 15 à 20 nœuds. On en a parlé à Jeff à notre retour, mais ses explications étaient trop évasives, ce truc restera un mystère pour nous 6. Chapeau à mes 5 compagnons pour leur sang froid et leur confiance.





On est resté bloqué plusieurs jours sur Unalga. Nous avons retenté la traversée, mais le vent et la mer étaient contre nous. Nous avons changé le programme de l’expédition, tant pis pour Akutan!

Les jours défilent au rythme de la météo et de l’état de la mer. On découvre l’île de Sedanka qui abritait jadis un village aléoute, Biorka, de ce village, il ne reste que le clocher de l’église et sa croix, c’est un endroit très étrange, où flotte encore l’esprit de ces chasseurs en kayak qui vivaient là, dans ce lieu perdu au bout du monde.





Entre Sedanka et Unalga, nous empruntons Udagak Strait un étroit couloir qui nous permet d’aller saluer le Pacifique. Court salut, nous sommes très vite retournés nous abriter dans la passe, vue la hauteur de la houle, le Pacifique, ne nous souhaitait pas la bienvenue.

Nous nous sommes baladés dans Beaver Inlet, une baie de plus de 20 milles de profondeur, un abri géant, bordé de plages fantastiques, autant d’accueils pour des bivouacs de rêves.





Les îles aléoutiennes s’étendent sur 2 500 kilomètres, le nombre d’îles est incalculable. J’imagine le temps qu’il nous faudrait pour visiter un tel terrain de jeux, avec un engin mu par une pagaie lui donnant une vitesse moyenne de 3 nœuds. Et le vent, le vent pour ralentir ou stopper sa progression. L’hiver, ici, les claques de vent dépassent parfois les 90 nœuds. Et nous voilà, à la sortie de Beaver Inlet amorçant le chemin de retour vers Dutch Harbor.





Tout ici est fantastique, démesuré. Inhospitalier? Pas sûr, si on s’adapte, si on accepte la rudesse du pays. Nous sommes restés bloqués à la sortie de Beaver Inlet, à cause du vent à contre, la mer n’était pas trop formée, en apparence, mais nos kayaks sont lourds et notre progression en est d’autant plus lente. On attend. Frédéric et moi avons amené des cerf-volant depuis la France, c’est le moment de les sortir.





Après 24h à terre, on tente un départ vers Dutch Harbor. Il y a de la houle, la mer est convexe. C’est un truc qui me reste de mon enfance, quand les marins parlaient d’une mer « ronde » et que « c’était pas bon ». Là, la mer est convexe, et la brume ne nous donne pas une vision exceptionnelle de ce qu’il y a devant. Mais au vue de la carte et de ce que je pressens, mieux vaut faire marche arrière. Il y a une pointe à passer juste devant, avec cette brume pas question de naviguer au large et pagayer à la côte, est trop hasardeux, ça pète de partout. On atterrit sur une grande plage de sable, au surf, pour la minute « sensations ». Il y a du soleil, la plage est couverte de pierres de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Life is good!





Le lendemain, nous avançons correctement, dans une belle houle. Marc est habitué à ce genre de mer, ça se voit. Marc habite Bayonne, et la houle en Atlantique, il connaît, je le sens à l’aise. Cape Sedanka, c’est là où c’était mauvais hier. C’est plus calme aujourd’hui, mais pas question de s’approcher de la côte, ça tape trop et n’importe comment. Nous restons au large, pas question non plus d’atterrir. Nous avançons vite, donc tout va bien. Nous passons Cape Sedanka.

Devant nous Unalga Pass! Wouaahhh! Comment mettre des mots sur ce que l’on voit, sur le vacarme occasionné? C’est ENORME. Un courant de marée de près de 1 mille de large qui lève des vagues de plusieurs mètres sur plusieurs milles de long. Un torrent monstrueux, dans lequel aucun bateau connu ne pourrait se maintenir. Pourvu qu’on puisse longer la côte! Ça va, ça passe en rase cailloux, dans pas beaucoup d’eau, mais ça passe, avec en bruit de fond le grondement de Unalga Pass. C’est marée basse et nous voilà, au calme, à l’abri au milieu d’une multitude d’oiseaux, de loutres et de phoques. Les Aléoutiennes nous offrent dans le même tableau, un courant titanesque, une machine de mort à broyer tout sur son passage, et un bout de paradis pour animaux, où tout semble calme et apaisé dans l’attente du flot… Quel pays fascinant!





A l’aller, nous avions bivouaqué sur la plage de Constantine Bay, joli plage, accueillante. Derrière cette plage, un grand lac qui traverse Cape Kalekta jusque de l’autre côté de la montagne. On va tenter de traverser Cape Kalekta par le lac. Des kayaks qui traversent la montagne? Qu’à cela ne tienne. On débarque au Sud de Cape Kalekta, un petit portage, et hop, on se retrouve sur un lac d’eau douce. A l’abri du vent, fait chaud, on se passe de l’eau sur le visage. Le bonheur! De l’autre côté un petit portage dans les grandes herbes et nous revoilà à Constantine Bay, comme au départ. Trop facile et un raccourci de 5 milles en fin de journée, c’est pas mal!

Le lendemain, bivouac à quelques milles de Dutch Harbor à Summer Bay. Il y a du bois, de l’eau mais il y a aussi une route. Enfin une piste. 10 kilomètres de mauvaise piste à travers la montagne. Mais c’est là que les gens de Dutch Harbor, viennent passer le dimanche après midi. Sur la plage de Summer Bay. Pas pour se baigner, l’eau est à peine à 8 degrés, juste pour passer le dimanche sur la plage, avec chien et ballon. Faut bien s’occuper! Nos tentes sont plantées, là, sur leur plage de villégiature. C’est particulier! Demain on déménage.





Les Aléoutiennes regorgent d’oiseaux de mer, avec de très nombreux macareux, comme je le disais plus haut, mais aussi des aigles à tête blanche, présents partout. Les Aléoutiennes sont une des réserves ornithologiques les plus importantes au monde. La faune marine, en générale y est abondante. La loutre est partout présente. Le lion de mer aussi, et ceux que nous avons croisés à Cape Kalekta, étaient très impressionnants. Mais notre dernier jour sur l’eau a été rythmé par la présence de rorquals et les sauts des baleines à bosses.





Les Aléoutiennes une partie de l’Alaska, mais tellement différente du reste de l’Alaska. Où tout est à découvrir… Pour ma part, je prends rendez-vous, à l’avenir avec l’île d’ Akutan…


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